Eternel balancier : alors que l’informatique en entreprise n’a pu atteindre sa maturité que par la généralisation de l’usage de programmes et de progiciels achetés tout faits, voilà que se fait jour de façon de plus en plus insistante un mouvement inverse, dans lequel les entreprises reprennent en main une partie des développements. Mais, élément nouveau et capital, ce retour au développement se traduit souvent par l’abandon partiel du mode «propriétaire», dans lequel l’éditeur du logiciel (Microsoft, Oracle, SAP pour n’en citer que quelques-uns) ou l’entreprise elle-même reste l’auteur et le propriétaire exclusif du logiciel. Abandonné le mode propriétaire, bonjour le mode « open source» !
Aux tout premiers débuts de l'informatique, chacune des quelques entreprises qui disposait de l'un des rares ordinateurs disponibles développait ses propres programmes de gestion ou de calcul, les constructeurs informatiques livrant eux leurs machines avec leur logiciel d'exploitation.
Des logiciels spécifiques "fermés" aux logiciels "fermés" sous licenceDans ce partage des tâches, chaque entreprise écrivait donc une comptabilité, une gestion client, une facturation, etc. : les seuls logiciels "mutualisés" étaient les logiciels d'exploitation spécifiques à chaque modèle d'ordinateurs.
Les choses évoluèrent ensuite vers une plus grande mutualisation :
- Tout d'abord l'unbundling décidé aux Etats-Unis dans le contexte de la lutte contre le monopole d'IBM, c'est-à-dire la vente séparée du matériel (l'ordinateur) et du logiciel qui auparavant étaient vendus de façon indissociable.
- Puis dans la possibilité d'acheter, bon gré mal gré, divers logiciels : systèmes d'exploitation, utilitaires, systèmes de gestion de bases de données, programmes de gestion…
- Les entreprises ont alors progressivement réduit leurs développements propres, préférant recourir aux logiciels "commerciaux" pour consacrer leurs développements à des activités génératrices de différentiation plutôt qu'à des activités standardisées où de toute façon le contexte réglementaire limite fortement les variations possibles (comptabilité, paie, gestion commerciale…).
- L'étape suivante a été l'apparition des programmes tels que SAP, les programmes ERP (Enterprise Resource Planning), où cette fois les fonctions de l'entreprises étaient mutualisées.
- Au final, les grandes entreprises se sont toutes retrouvées avec des systèmes informatiques très semblables : mainframes IBM, serveurs Unix, système de gestion de base de données Oracle ou DB/2, ERP SAP ou Peoplesoft (aujourd'hui filiale d'Oracle), stations Sun, postes clients Windows, suite bureautique Microsoft Office, chacun de ces éléments représente plus de 30 à 50% de son segment de marché !
Des logiciels propriétaires sous licence aux logiciels "open source"Cette situation commence à être mal supportée par leurs clients, et notamment les plus grands d'entre eux : ce sont eux qui paient les plus grosses factures, et leur poids économique leur permet de parler sur un pied d'égalité avec ces fournisseurs.
Aussi commencent-ils à envisager de plus en plus sérieusement de revenir à une stratégie de développements spécifiques - c'est-à-dire spécialement orientés vers leur métier -, qu'ils financeraient eux-mêmes éventuellement en mutualisant leurs efforts avec d'autres partenaires ou concurrents, voire en recourant à l' open source.
Des logiciels libres à licence gratuiteLes logiciels open source correspondent à un contexte juridique précis, mais pour simplifier on peut le résumer en plusieurs conditions simultanées :
- Le code source, le texte des programmes, est publié, ce qui est très différent des logiciels "propriétaires" dont l'éditeur ne vend qu'une licence d'usage du code compilé, qu'il est interdit de "lire" et d'en comprendre les détails, bons ou mauvais, ni donc d'en auditer la sécurité.
- L'utilisation de ces programmes se fait généralement gratuitement,
- Si l'utilisateur fait des modifications au texte des programmes, ces modifications deviennent elles-mêmes publiques et disponibles pour la communauté.
Ces logiciels, malgré la gratuité de leur licence, sont d'une qualité très souvent comparable aux logiciels du commerce, comme le montrent deux exemples parmi bien d'autres :
- sur le secteur des serveurs web, qui alimentent le surf de tous les internautes, le programme le plus utilisé est le logiciel open source Apache,
- pour les portails de publication des contenus, les administrations françaises sont de plus en plus nombreuses à utiliser le logiciel open source SPIP, dont elles ont en partie payé des développements complémentaires.
La relocalisation des revenus du logicielLe développement du recours à l' open source génère quelques économies pour les entreprises utilisatrices par rapport à la situation habituelle d'achat de licences à des éditeurs et à l'adaptation réalisée par des SSII a priori locales.
Mais l'économie n'est pas totalement égale à celle du coût des licences, car l'entreprise aura généralement besoin de développements complémentaires, supérieurs à ceux qu'elle aurait en adoptant une solution propriétaire : l'importance de l'impact se situe en fait sur la destination des achats correspondants. Dans le cas classique ils vont en grosse partie vers l'éditeur de logiciel, dans le cas open source ils vont pour l'essentiel vers la SSII "de proximité".
A cause de ce risque de "transfert de revenus", on comprend mieux certains enjeux du marché du logiciel, comme par exemple :
- la lutte de Microsoft auprès de toutes les entreprises, et surtout des administrations publiques, pour qu'elles restent fidèles au modèle "licence" plutôt que basculer sur l'open source
- la bataille des éditeurs de logiciels pour obtenir la brevetabilité des programmes, ce qui aurait fait peser autant de menaces sur la liberté de création des contributeurs de l'open source (bataille finalement heureusement perdue).
Commentaire en novembre 2005: finalement, j'avais tort de penser la bataille gagnée. Microsoft (et quelques autres) ont créé une nouvelle association pour revenir à la charge sur ce problème. Et Bill Gates lui-même, lors de son récent passage à Paris, est remonté au créneau avec semble-t-il quelque bienveillance du gouvernement français.
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