Notre étude pour le Ministère de l'Education Nationale, de
l'Enseignement Supérieur et de la Recherche vient d'être publiée. Elle
analyse notamment l'impact des nouvelles technologies et des
communications sur les emplois de services, et propose des stratégie
pour diminuer l'impact des risques de délocalisation.
(Extrait de la présentation de l'étude)
Après les
entreprises industrielles, c'est au tour des entreprises de services de
subir les effets des délocalisations d'une partie de leurs activités.
La délocalisation de certains services semble inéluctable, mais une
stratégie volontaire peut renforcer la stabilité des autres activités
et diminuer le nomadisme des emplois.
Pour résister aux
délocalisations, le tissu économique doit présenter une attractivité
suffisante pour attirer ou retenir les activités des entreprises.
Le renforcement de cette attractivité nécessite la combinaison de plusieurs leviers:
|
-
Le développement des centres de compétitivité,
qui créent un environnement favorable et privilégié pour la créativité et l'innovation des entreprises;
-
L'augmentation de
la taille et de la visibilité des institutions d'enseignement supérieur,
pour que leur attractivité internationale soit significativement accrue;
-
Une implication plus forte
des institutions d'enseignement supérieur
dans les pôles de compétitivité
;
-
L'amélioration de l'apprentissage et de la
maîtrise des langues étrangères;
-
La réduction des formations
correspondant aux emplois "fortement délocalisables";
-
La mise en place généralisée des doubles compétences
(techniques de l'information + métier) dans l'enseignement supérieur et
dans les formations de technicien, pour permettre à toutes les PME
industrielles de maîtriser les technologies de l'information
nécessaires à leur intégration dans les "entreprises étendues";
-
Des actions spécifiques dans divers domaines des techniques de l'information:
capitalisation et développement de l'utilisation de l'open source,
développement et renforcement de la sécurité des échanges
d'information, généralisation de la culture de la maîtrise des outils
de communication numérique dès l'école.
|
Emplois de service en France: impact des stratégies de délocalisation des entreprises,
Bernard Savonet, Bruno Lemaire, Ministère de l'Education Nationale, Paris, novembre 2005.
Table des matières
AVANT-PROPOS 7
RESUME 9
INTRODUCTION 13
1. PRESENTATION ET CONTEXTE 15
1.1. Des chiffres impossibles à trouver ! 15
1.2. Quelle stratégie ? 19
1.3. Une question de logistique… 21
1.4. " Délocalisation " : définition 22
1.5. La directive Bolkestein 23
2. L'EVOLUTION DES GRANDS GROUPES TRANSNATIONAUX : L'EXEMPLE DE L'INDUSTRIE 26
2.1. La nouvelle entreprise " étendue " 26
2.2. Rationalisation et unification : l'effet uniformisateur de la reconfiguration des processus (BPR) 28
2.3. Rationalisation et unification : l'effet " hit-parade " des Programmes de Gestion Intégrée (PGI) 29
2.4. L'effet d'entraînement sur les partenaires 30
2.5. Les risques industriels induits 31
3. LE MODELE " VITRINE / COULISSES " 33
3.1. Les entreprises industrielles 35
3.2. Les entreprises de services 36
4. LES SPECIFICITES DES DELOCALISATIONS DE SERVICES 38
4.1. La " proximité mondiale " 39
4.2. Vitrine : les services de type " proximité physique " 40
4.3. Vitrine : les services de type " proximité vocale " 40
4.4. Logistique 40
4.5. Coulisses : les services de type " administration " 42
4.6. Coulisses : les services de type " production " 42
4.7. Coulisses : les services de type " création " 42
4.8. Les degrés nécessaires de proximité 43
5. LES OPTIONS STRATEGIQUES 44
5.1. Les formations à éviter 44
5.2. Les actions prioritaires 44
5.3. Les actions thématiques ciblées : transferts d'information et travail collaboratif 46
CONCLUSION 50
ANNEXES 52
ANNEXE 1 : ENTRETIENS ET PERSONNALITES INTERROGEES 54
PME française de logiciel recourant à des ingénieurs hongrois et russes 55
Groupe X-Informatique 56
Direction Centrale de la Sécurité des Systèmes d'information 58
PME de solutions cryptographique 59
Syntec Informatique 61
ANNEXE 2 : LA PROBLEMATIQUE OPEN SOURCE 64
Des logiciels spécifiques " fermés " aux logiciels " fermés " sous licence 64
Des logiciels propriétaires sous licence aux logiciels " open source " 65
Les logiciels libres à licence gratuite 65
La relocalisation des revenus du logiciel 65
ANNEXE 3 : SOURCES D'INFORMATION, DOCUMENTS ET REFERENCES 68
Bibliographie 68
Webographie succincte 70
Compléments 70
ANNEXE 4 : LISTE DES TABLEAUX ET ILLUSTRATIONS 72
ANNEXE 5 : GLOSSAIRE 74
AVANT-PROPOS
Les phénomènes conjoints de la mondialisation et de l'essor considérable des technologies de l'information ont des conséquences importantes sur la division du travail dans les entreprises, au niveau national et international, et sur la répartition spatiale des activités et des emplois.
Au delà des investissements à l'étranger pour gagner de nouveaux marchés (exemple des constructeurs automobiles français en Europe de l'Est), ces conséquences se concrétisent essentiellement sous deux formes:
" délocalisation de tout ou partie de l'appareil productif, dans le pays d'origine ou à l'étranger, afin de produire à moindre coût ;
" recours à la sous-traitance internationale (offshore outsourcing que l'on peut traduire par externalisation à l'étranger) pour exercer à moindre coût une activité autrefois exercée localement en interne.
Les stratégies de localisation des entreprises et leurs effets sur l'emploi constituent un thème fort de l'actualité économique et sociale. Ce sujet très médiatisé a donné lieu à de nombreux rapports et à des batailles de chiffres sur les pertes d'emplois passées et virtuelles.
Ce rapport n'avait pas l'ambition de réaliser un nouveau chiffrage ; son objectif était, à la fois, de mettre en évidence les activités et emploi les plus sensibles aux délocalisations en utilisant le modèle " vitrine-coulisses " pour le secteur des services (en s'inspirant de son application au secteur industriel) et, de dégager des pistes d'action pour résister au nomadisme de l'emploi. Ce modèle différencie les grandes fonctions de l'entreprise, selon la nature du produit, les modalités du contact au client et au fournisseur et l'environnement économique et social.
Globalement, les emplois les moins sensibles aux délocalisations, dans le secteur des services, relèvent de deux catégories :
" les emplois de proximité physique avec le client qui sont faiblement ou moyennement qualifiés;
" les emplois de conception qui sont plutôt hautement qualifiés.
La délocalisation de certains services et des emplois correspondants semble inéluctable (services de proximité vocale), même pour des emplois qualifiés (informatique, traitement de l'information), mais une stratégie volontariste fondée sur la formation, la recherche et l'innovation peut assurer la stabilité des autres activités ; cette stratégie devrait s'incarner, notamment, dans le développement des centres et " pôles de compétitivité ".
Le renforcement de l'attractivité des territoires (qualité de la main d'œuvre, infrastructures, recherche-développement, fiscalité…) paraît la seule réponse au défi de la délocalisation, mais au strict plan de la formation, plusieurs pistes, déjà mises en avant dans des rapports, méritent d'être soulignées à nouveau :
" l'augmentation de la taille et de la visibilité des institutions d'enseignement supérieur (actuellement peu compétitives par rapport au grandes université anglo-saxonnes) ;
" une implication plus forte des institutions d'enseignement supérieur dans les " pôles de compétitivité " ;
" la réduction sensible des effectifs en formation dans des spécialités correspondant à des " emplois fortement délocalisables " (c'est le cas de beaucoup de formations du tertiaire administratif);
" la mise en place généralisée des doubles compétences (métier et technologies de l'information) dans les formations supérieures et les formations de technicien;
" L'amélioration de l'apprentissage des langues étrangères.
Résumé
Après les délocalisations industrielles, ce sont maintenant les
délocalisations des services qui touchent les entreprises et les emplois. Ce problème est préoccupant, et il est nécessaire de développer des stratégies pour le combattre ou, tout au-moins, pour en contenir autant que possible les effets. La présente étude identifie les spécificités des délocalisations des services et propose des recommandations pour en limiter les effets.
Délocalisation : comportement économique d'une entreprise qui cesse de produire une gamme de produits dans un pays pour la produire ailleurs. Ce comportement recouvre deux réalités :
1) transfert par investissement direct de tout ou partie de l'appareil productif afin de réimporter les biens produits à moindre coût.
2) par extension, recours à la sous-traitance internationale (offshore outsourcing) pour exercer à moindre coût une activité autrefois exercée localement
Nous limitons les propositions que nous présentons à celles qui nous semblent relever du " domaine d'action " du Ministère de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche : d'autres actions politiques sont nécessaires et ont déjà été présentées dans plusieurs rapports, mais nécessitent l'intervention d'autres instances.
Il n'existe pas de chiffres permettant de cerner l'ampleur du phénomène avec toute la rigueur statistique nécessaire. Quelques éléments permettent toutefois d'illustrer l'impact direct des délocalisations de services. Par exemple, la généralisation des centres d'appels et de leurs délocalisations dans divers pays francophones a sensibilisé l'opinion à ce problème (les ministères français ont avancé des chiffres allant de 100 000 à 200 000 nouveaux emplois en 3 à 5 ans, soit 20 000 à 60 000 postes par an pour ce seul secteur) ; ou encore, selon une étude plutôt optimiste du McKinsey Global Institute , les postes délocalisés dans le secteur des services laissent, au bout de 6 mois, environ 40 % des salariés français sans nouveau poste de travail.
Depuis une trentaine d'années, les délocalisations industrielles ont été accompagnées de la délocalisation d'une première série de services aux entreprises. Aujourd'hui, c'est l'ensemble des services qui se trouve impliqué. L'étude comparée des délocalisations industrielles et de services permet d'identifier des points communs et des points de divergence entre les deux processus.
Pour étudier les processus industriels et de services, nous avons conçu un modèle que nous avons appelé " vitrine / coulisses " et qui identifie sept rôles et types d'intervention dans la chaîne des actions qui conduit de la conception et de la fabrication d'un " produit " (industriel ou de service) à la satisfaction du client une fois son " produit " livré :
Les " coulisses " correspondent à toutes les actions qui vont définir et fabriquer le produit, et notamment :
1. la création initiale, après les études marketing et techniques nécessaires, définit les produits puis esquisse leur mode de production ;
2. la production définit les méthodes de production, et assure la production elle-même, soit en interne, soit par achat à l'extérieur ;
3. l'administration de l'entreprise et le " back-office " de ses opérations couvrent aussi bien la comptabilité et les autres services administratifs que le service des achats ;
4. La logistique joue un rôle de lien entre les différentes étapes de production. Elle assure l'acheminement des approvisionnements et des produits vers le client, ainsi que les échanges d'information entre les différents acteurs.
La " vitrine ", face au client et à son contact, correspond à deux rôles :
5. le rôle de point de contact initial des ventes et de la relation client correspond à ce que le client voit dans toute vente : le " produit " et ses caractéristiques ;
6. le soutien et le service après-vente (SAV) s'assurent que le client utilisateur rencontre aussi peu de problèmes que possible dans son usage du produit.
Le client enfin, pour qui est construite toute cette organisation :
7. le client voit son rôle évoluer de celui de prospect à celui d'acheteur puis d'utilisateur.
Ces divers rôles ne sont pas affectés de la même façon par les délocalisations et surtout le " nomadisme " de l'emploi , comme l'esquisse ce schéma .
L'une des composantes importantes des activités industrielles est que la production se concrétise par des biens matériels, qu'il faut acheminer et comptabiliser depuis leur état de matière première jusqu'à celui de produit à la disposition du client : toute la chaîne logistique correspondante introduit donc un certain nombre de contraintes qui jouent comme autant de processus régulateurs des délocalisations et de leur nomadisme.
Ainsi, c'est l'ensemble des activités des services aux entreprises et aux particuliers qui se trouvent affectées, notamment du fait de modalités logistiques totalement différentes .
Pour certains services, cette tendance à la délocalisation ne semble pas pouvoir être enrayée, et il ne reste qu'à souhaiter que les entreprises répercuteront sur leurs clients les économies qu'elles auront ainsi réalisées en allégeant leur masse salariale.
Pour d'autres services par contre, rien n'est joué, si le tissu économique présente des éléments suffisants d'attractivité, ils aideront efficacement à fixer une grande partie de la production de ces services.
Il semble donc important de développer ces " points d'attractivité " pour garder les emplois situés en France et leur redonner tout leur intérêt pour les entreprises.
Parmi les pistes stratégiques, en s'appuyant, notamment, sur le système éducatif et les " pôles de compétitivité ", on peut citer :
- développer la taille et la visibilité internationale des institutions d'enseignement supérieur ;
- développer les doubles formations combinant gestion et culture technologique, notamment pour renforcer les développements (de services) nécessitant la proximité,
- privilégier la compétence pour la maîtrise et l'utilisation des produits de travail collaboratif et de communication numérique ;
- favoriser la compétence pour le développement, la maîtrise et l'utilisation des produits de sécurité de l'information,
- développer l'utilisation de produits Open Source et du service afférent ;
- réduire sensiblement les formations correspondant aux emplois " fortement délocalisables " et améliorer l'apprentissage des langues étrangères.
INTRODUCTION
Depuis plusieurs années, c'est un énorme bouleversement que l'évolution des systèmes d'information a favorisé dans l'organisation et le fonctionnement des entreprises. Grâce à des communications améliorées, l'information circule plus facilement, avec pour conséquence une accélération de la centralisation et de l'unification des décisions et des procédures pour chacun des nouveaux conglomérats virtuels que sont devenues les " entreprises étendues ".
Le résultat en est une généralisation de la globalisation et de la mondialisation, c'est-à-dire de la construction stratégique de l'entreprise au niveau mondial, avec notamment le cortège des (dé)localisations qui en résulte souvent. Les seuls freins à cette tendance forte sont les contraintes logistiques d'acheminement des productions, y compris les aspects réglementaires et douaniers ; et, dans une moindre mesure, la pression sociale et politique créée par les diverses populations de clients et de " producteurs ".
La logistique et la réglementation des échanges jouent donc un rôle régulateur de frein quant au choix des localisations des productions industrielles. Mais cette " barrière naturelle " n'existe quasiment pas pour les activités de services, objets de la présente étude. Pour ces activités, les freins liés à la logistique et au déplacement des produits disparaissent presque tous, laissant de façon visible les tissus économiques dépourvus de protections structurelles. Les seules limitations en restent pour l'entreprise " chef de file " sa capacité à avoir des échanges performants avec l'ensemble des sous-traitants qui constituent son " entreprise étendue ".
Comment s'assurer que dans cette nouvelle donne la France gardera sa compétitivité et ne perdra pas trop d'activités et d'emplois ? Comment déterminer des axes sur lesquels l'éducation peut agir dès aujourd'hui pour qu'à terme la France présente toujours un fort pouvoir d'attractivité pour les activités de service aux entreprises et aux particuliers, et pas seulement grâce à son activité touristique ?
Pour dégager ces grandes lignes et des idées fortes, nous sommes partis d'une modélisation du monde industriel. Nous avons ensuite raisonné par analogie sur les activités des services, mettant en évidence similitudes et différences. Cette modélisation a été complété par l'analyse de la littérature récente sur le sujet.
Nous pouvons ainsi dégager et suggérer quels types d'activité favoriser, notamment quant à la formation et à ses effets à terme, l'objectif étant de rendre notre tissu économique attractif et " séduisant " pour les entreprises et leurs décisions de localisation. Les outils pour cette stratégie concernent essentiellement le développement de pôles d'attractivité et d'excellence, mais surtout le renforcement :
- de leur pouvoir d'attractivité par une visibilité accrue des formations et des établissements d'enseignement supérieur,
- de leur excellence par des actions spécifiques ciblées sur la maîtrise des nouveaux outils technologiques, notamment pour permettre à l'ensemble des entreprises et sous-traitants des " entreprises étendues " d'utiliser les outils informatiques et de communication numérique pour être davantage efficaces et performantes,
- de leurs capacités de recherche et d'innovation.
1. PRESENTATION ET CONTEXTE
Délocalisation d'emplois de l'informatique, interrogations sur la localisation de la recherche privée, apparition de centres d'appels téléphoniques délocalisés, ou inversement " touristes " britanniques traversant le Channel pour venir se faire opérer ou soigner dans les centres hospitaliers français : autant de préoccupations permanentes qui à l'occasion de l'un ou l'autre incident se manifestent de façon plus visible.
Ce phénomène de " mouvement des services " initialement présent surtout aux Etats-Unis, a progressivement gagné tous les pays développés et notamment l'Europe.
Le mouvement de délocalisation des entreprises industrielles a ainsi été suivi et accompagné des délocalisations de services de toutes sortes, auxquelles n'échappent même pas les services de santé et les soins qu'ils dispensent et dont les coûts seront eux aussi " optimisés " selon les souhaits des assurances maladie.
" Après la délocalisation des entreprises suivra la délocalisation des patients dans des établissements à l'étranger dont les assureurs seront propriétaires ou avec lesquels ils auront passé des contrats de prestations. Moyennant des rabais sur les cotisations on proposera aux patients des prestations chirurgicales sélectives, des soins spécialisés non urgents et de réhabilitation . "
Les Etats-Unis, notamment la Californie et ses startups, se sont inquiétés de l'impact des délocalisations de services sur leurs propres emplois et leur économie. Dans ce contexte explosif, en Europe le projet de directive " Bolkestein " est finalement apparu comme une remise en cause totale des tissus économiques… même si les instances politiques des différents pays ont mis plus d'un an à s'en inquiéter publiquement.
1.1. Des chiffres impossibles à trouver !
Alors même que ce processus de délocalisation se manifeste de façon concrète et précise au niveau micro-économique par la fermeture ou le déplacement de telle ou telle unité, il reste particulièrement difficile à évaluer de façon précise à l'échelle macro-économique, et donc d'en dresser avec certitude un bilan rigoureux.
Les études n'ont pas manqué pour cerner l'impact économique des délocalisations, notamment quant aux services. En ce qui concerne les services, elles semblent relever plus du " doigt mouillé " que de la rigueur souhaitable que donnerait une réelle méthode statistique. Une étude de l'INSEE examine pour le secteur industriel / manufacturier les différentes méthodes couramment utilisées, et en relève les nombreuses faiblesses. Cette étude propose une méthode d'approche et d'approximation micro-économique, qui malgré ses qualités n'est toutefois pas applicable pour les services, à cause de l'impossibilité de mesurer avec pertinence les flux de " produits " puisque dans ce cas ils sont essentiellement immatériels.
L'une des méthodes couramment mise en œuvre, notamment par le McKinsey Global Institute , consiste à partir des Investissements Directs à l'Etranger (IDE ) et d'en mesurer l'impact sur l'économie d'origine. On se heurte toutefois là aussi à un problème de taille : identifier les IDE correspondants, et les associer avec un impact identifiable et mesuré sur l'économie et l'emploi du pays d'origine.
En effet, on peut disposer ça et là d'informations dans la presse ou d'autres sources, qui permettent d'identifier des cas de délocalisation. Par exemple, lorsque divers ministères français ont avancé des chiffres allant de 100 000 à 200 000 emplois pour les centres d'appels. Mais, comme le montrent clairement Aubert et Sillard , une telle information anecdotique ne peut prétendre à l'exhaustivité et à la rigueur statistique.
Il est donc clair qu'un chiffrage rigoureux et précis est impossible, il faut donc recourir à des approximations, par définition contestables, pour évaluer l'ampleur du problème.
" Il n'existe actuellement aucun indicateur statistique fiable quant à l'étendue ou à la nature des délocalisations (global outsourcing). Il est impossible, même par les statistiques européennes des échanges commerciaux ou par celles de l'emploi, d'identifier des données des échanges de services aux entreprises qui permettraient avec quelque fiabilité d'identifier quels éléments de ces services correspondent à des emplois. A la différence des biens matériels, les services aux entreprises sont intangibles et peuvent être transmis sous de multiples formes numériques et dans de nombreux contextes contractuels. Les éléments d'analyse ne peuvent donc se trouver que dans des études de marchés, des enquêtes ou des études de cas ponctuelles, ou encore quelques situations particulières : bien entendu, ces différents éléments sont très inégaux quant à leur fiabilité et à leurs conclusions. Ils peuvent être teintés, positivement ou négativement, par les intérêts spécifiques et les points de vue des organismes qui les ont commandées. Et au milieu de tout cela, on trouve beaucoup d'analyses qui visent l'objectivité mais manquent de bases empiriques solides. "
Toutefois, l'absence de chiffres présentant toute la qualité statistique nécessaire ne saurait cacher que le phénomène existe et qu'il présente une ampleur importante, et que les divers éléments chiffrés que l'on peut recueillir donnent une première approximation de la réalité du problème.
Dans sa livraison du 30 mars 2005, le Journal du Management publie une enquête de CSA pour le cabinet Celerant, qui demande aux chefs d'entreprise leur opinion sur les délocalisations. Ces opinions doivent être comparées à celles exprimées quant aux facteurs de délocalisation.
Toutefois, en l'absence d'éléments objectifs suffisamment complets, les opinions divergent fortement quant au résultat économique des délocalisations : la baisse des prix promise par les délocalisations compense-t-elle au niveau national l'impact négatif des pertes d'emplois ? Et, question plus spécifique à notre pays : quel est l'impact des délocalisations sur la situation de l'emploi en France ?
On peut trouver dans les travaux du McKinsey Global Institute une modélisation intéressante, qui présente un bilan des délocalisations pour les Etats-Unis , l'Allemagne et la France . Mais il s'agit en fait du bilan des investissements en délocalisation, l'impact sur l'emploi local n'étant mesuré qu'indirectement… quoique fortement négatif puisque faisant apparaître un " taux de réemploi " hors secteur manufacturier de 69% pour les Etats-Unis (donc, au bout de 6 mois, 31% des salariés dont les postes ont été délocalisés n'ont pas retrouvé de travail), mais encore plus faible pour l'Allemagne (réemploi en 3 mois de 39%, soit 61% toujours demandeurs d'emploi au bout de 3 mois) et, dans une moindre mesure, pour la France (réemploi en 6 mois estimé à 60%, soit 40% toujours demandeurs d'emploi au bout de 6 mois).
En France, pour 100 postes délocalisés seuls 60 salariés retrouveront du travail dans les 6 mois.
McKinsey en tire fort logiquement la conclusion qu'à terme le marché financier, ou plus précisément le cours de chaque SSII, reflètera partiellement le degré de délocalisation que celle-ci aura atteint… ce qui bien entendu poussera les SSII à délocaliser un peu plus, et sans doute au-delà de la raison, dans un mécanisme similaire à celui de la " bulle Internet " qui avait enflammé les cours de bourse en 2000.
De même, les travaux du Forrester Group débouchent sur un modèle dont l'étude tire le tableau ci-après, et qui distingue trois types d'acteurs en Europe : la Grande-Bretagne, avec un comportement très proche de celui des Etats-Unis, et qui supportera à elle seule près des 2/3 des pertes d'emploi ; les pays " nearshore " (Espagne, Grèce et Portugal) qui d'une part verront peu de postes partir, et d'autres part en recevront des autres pays européens ; et enfin les pays intermédiaires, comme l'Allemagne, la France ou l'Italie.
Si l'on réunit ces différents chiffres, et notamment en tenant compte du fait que les diverses études s'appuient partiellement l'une sur l'autre pour se " valider ", on voit apparaître un bilan d'environ 10 000 à 20 000 postes par an pour la France dans les années à venir.
1.2. Quelle stratégie ?
Il ne faut pas céder au mirage des chiffres mais cela contribue à déterminer si des actions doivent être conduites.
Il est en effet très important de bien voir l'aspect qualitatif des délocalisations ; le danger des délocalisations est là, et il faut s'y préparer pour ne pas se trouver trop tard dans une mauvaise situation. On se trouve là face à une situation qui n'est pas sans rappeler celle dite " du " bogue de l'an 2000, et où une anticipation et une préparation minutieuses sont nécessaires pour éviter les problèmes et leurs conséquences. Pour les délocalisations, si nous n'en anticipons pas les effets potentiels, il sera beaucoup trop tard lorsque nous pourrons en mesurer les effets.
Dans le contexte actuel de mondialisation de l'économie et d'internationalisation du marché du travail des cadres et des scientifiques, favorisée par les technologies de l'information et de la communication,
- les ingénieurs et chercheurs peuvent avoir les mêmes diplômes et le même niveau scientifique quel que soit leur pays d'origine ou de résidence,
- leurs travaux peuvent être suivis et partagés à distance quelle que soit celle-ci,
- les résultats de leurs travaux ou les services peuvent être livrés sous forme numérique quasiment n'importe où sans coût ni délai significatif,
- mais les exigences salariales et sociales en contrepartie peuvent varier grandement selon que l'on est en Europe de l'Ouest, en Europe de l'Est ou dans une des pays " du Sud " : Afrique, Singapour, Inde, Chine…
Si nous n'anticipons pas dès aujourd'hui les effets potentiels des délocalisations, il sera beaucoup trop tard lorsque nous pourrons en mesurer les effets.
De ce fait, l'un des enjeux importants pour l'emploi et notamment l'insertion professionnelle des jeunes concerne les stratégies de localisation des firmes et plus précisément la délocalisation d'emplois qualifiés des pays développés vers des pays à coûts de main d'œuvre plus compétitifs.
Ces différents mécanismes, que nous désignerons sous le terme générique de localisation, combinent relocalisation (par exemple de la région parisienne vers la province - souvent appelé " nearshore ") et délocalisation (par exemple vers l'Inde ou l'Australie - souvent appelé " offshore "), en passant par les cas intermédiaires comme ceux notamment des localisations en Europe de l'Est.
Ce phénomène, qui il y a quelques temps touchait essentiellement les activités de production industrielle, se trouve fort logiquement et selon des modèles similaires étendu aujourd'hui aux biens immatériels et aux services ; pour eux, le coût de " transport " par Internet ou par téléphone satellite devient quasiment négligeable. Les seuls coûts " additionnels " engagés par les " localisations " sont donc surtout un coût de management et d'adéquation culturelle.
Se trouvent notamment concernés l'ensemble des secteurs de " création " et de " production " de services (développement logiciel, services et ingénierie informatiques), le suivi et la relation client " 24 heures par jour ", voire les laboratoires de recherche et les soins hospitaliers financés par les assurances-maladie .
" A l'heure actuelle, les SSII françaises n'emploient qu'une faible partie de leur main-d'œuvre dans des pays à bas coût (2 à 6 % en moyenne). Toutefois, les analystes financiers commencent à considérer ce pourcentage comme une variable essentielle pour déterminer la valeur de l'entreprise, incitant les entreprises de services informatiques à renforcer leur stratégie de délocalisation. "
Actuellement, ces localisations de haut niveau semblent viser l'Europe de l'Est et des pays comme l'Inde ou l'Afrique du Sud. Ces derniers pays sont marqués par une forte culture anglo-saxonne, qui pour l'instant protège partiellement la France d'effets qui, bien que déjà sensibles, rencontrent sans doutes des limites naturelles liées à la langue et à l'absence de composantes culturelles communes.
Mais qu'en sera-t-il demain ? La France cherchera-t-elle à développer ce type de relation avec d'autres partenaires comme l'Afrique francophone ou l'Europe de l'Est, ou bien se glissera-t-elle dans le moule anglo-saxon ?
Il semble difficile de négliger le problème, comme le démontrent clairement divers éléments :
- le Syntec Informatique (syndicat professionnel des entreprises des services informatiques) est soucieux du fait que ses adhérents multiplient les délocalisations plus ou moins dissimulées… notamment sous la pression explicite des donneurs d'ordres du Cigref (club informatique des grandes entreprises françaises).
- même les petites entreprises de logiciel sous-traitent des parties plus ou moins importantes de leurs logiciels à des ingénieurs russes, polonais ou hongrois, dont certains sont diplômés d'écoles françaises prestigieuses.
" Avant même d'envisager de traiter avec un fournisseur, pour que nous acceptions d'examiner son offre, nous exigeons maintenant qu'il puisse traiter de façon délocalisée certaines parties de son activité, que ce soient ou non les nôtres . "
- La plupart des cabinets anglo-saxons (Forrester/ Giga, Gartner, Meta Group) annoncent des prévisions concordantes quant aux emplois scientifiques et de services qui vont quitter les Etats-Unis pour l'étranger à l'horizon d'une dizaine d'années ; selon ces cabinets, plusieurs millions d'emplois sont concernés.
1.3. Une question de logistique…
Dans le monde industriel, il existe une limite " mécanique " aux délocalisations et à la fréquence de leur remise en cause : l'impact du coût des transports et de leur gestion, bref de la logistique.
On a pu dire " L'intendance suivra ", mais le rôle stratégique de la logistique ne fait qu'augmenter au fur et à mesure du partage croissant des processus de l'entreprise entre des localisations géographiques de plus en plus nombreuses.
La limitation que la logistique apporte aux processus industriels joue sur deux plans :
- au plan stratégique et des investissements, une usine implantée en un lieu donné, avec la mise en place de tous ses circuits d'approvisionnement, ne peut pas être déplacée d'un site à l'autre sans une longue préparation et de lourds investissements. Alors que pour les services " déplaçables " comme pour les " produits immatériels " (données et programmes informatiques, fichiers musicaux ou vidéo), le raisonnement est le même mais les investissements sont beaucoup plus légers ; il s'agit généralement des locaux et leur infrastructure de communication, ainsi que les équipements informatiques s'ils ne sont pas trop anciens , sinon on les laisse sur place ;
- au plan opérationnel et du fonctionnement, les coûts de transport des biens physiques limitent la flexibilité des lignes d'approvisionnement et incitent à regrouper plusieurs opérations de transformation et de création de valeur ajoutée avant de faire un nouveau déplacement. En effet, même sans atteindre les coûts logistiques de l'approvisionnement des lignes de fabrication des Airbus, chaque opération de transport comporte son propre lot d'opérations matérielles (chargement / déchargement, emballage et protection) et d'opérations logiques (suivi et mise à jour des stocks, planification du déplacement…) ou de type comptable (exportation / importation, douanes, taxes…). Au contraire pour les services et les biens "immatériels ", ce coût de transport est très faible puisque effectué par télécommunications, et les opérations logiques d'administration et de suivi s'obtiennent le plus souvent automatiquement comme " rapport d'opérations ".
1.4. " Délocalisation " : définition
Il est parfois difficile de distinguer les raisons stratégiques du choix d'un site de production de biens ou de services. Le sénateur français Grignon propose dans son rapport une définition du phénomène de délocalisation : " Dans son acception la plus stricte, la délocalisation est le transfert de capacités de production d'un site national vers un site étranger afin d'importer, pour satisfaire la consommation nationale, des biens et services jusqu'alors produits localement. ".
Cette définition nous paraît un peu trop restrictive, c'est pourquoi nous lui préférons la définition suivante :
Délocalisation : Comportement économique d'une entreprise qui cesse de produire une gamme de produits dans un pays pour la produire ailleurs. Ce comportement recouvre deux réalités :
1) transfert par investissement direct de tout ou partie de l'appareil productif afin de réimporter les biens produits à moindre coût.
2) par extension, recours à la sous-traitance internationale (offshore outsourcing) pour exercer à moindre coût une activité autrefois exercée localement
La caractéristique essentielle de ces " nouvelles localisations " est qu'elles sont conçues pour servir en priorité non leur marché local ou un marché voisin, mais plutôt un ou plusieurs marchés " éloignés " de ce nouveau centre de production.
Pour le pays " hôte ", cela se traduit normalement par une augmentation de ses exportations de services… la valeur correspondante restant pour partie sur place (salaires, impôts, investissements) le reste étant rapatrié vers la maison mère.
Dans le cas d'une production immatérielle (par exemple création de logiciel ou conception assistée sur ordinateur), le transfert du produit " fabriqué " a lieu sans aucune matérialisation, ce qui a pour effet de masquer la valeur ajoutée du processus de production. Dans ce cas, on ne verra pas toujours apparaître le mécanisme d'export depuis le pays hôte vers le pays d'origine ; c'est l'une des limites quant à la fiabilité des différentes statistiques économiques et fiscales au niveau international pour appréhender l'ampleur du processus.
Cette description en quelques phrases ne peut couvrir parfaitement toute la réalité. Notamment, les grands groupes conduisent actuellement des stratégies mondiales de spécialisation, qui conduisent à centraliser la production, par exemple d'un modèle d'automobile, dans quelques sites qui approvisionneront l'ensemble du monde. Ce qui, à l'échelle de telle usine dans tel pays, peut passer pour une délocalisation en provenance d'un autre pays, constitue en réalité à l'échelle du groupe une spécialisation et une distribution de rôles dans lesquelles l'ensemble des sites de l'ensemble des pays contribue de façon coordonnée à la production globale.
Il ne faut pas confondre les délocalisations et la désindustrialisation, que l'on voit parfois considérées dans certains cas comme synonymes. Le rapport Fontagné/ Lorenzi en présente clairement les différences. Techniquement, la désindustrialisation est la baisse relative de l'activité industrielle par rapport à l'ensemble de la production du pays , elle ne donne en fait aucune information précise quant à l'impact absolu sur l'emploi. La désindustrialisation exprime simplement le fait que la production se tourne davantage vers les services.
1.5. La directive Bolkestein
Lors de sa publication en janvier 2004, le projet de directive proposé par Frits Bolkestein est passé relativement inaperçu, n'attirant inquiétude et réactions publiques que chez quelques syndicats (par exemple la CGT courant 2004).
L'importance de ses enjeux n'a connu en France une réelle publicité qu'en mars 2005, dans le contexte du débat politique autour du référendum sur le traité pour la constitution européenne.
Que proposait en substance ce projet Bolkestein ? De faciliter la circulation des services entre les états membres, en diminuant les freins qui entravent cette circulation. Le projet en lui-même prévoit plusieurs étapes et de nombreuses dérogations… qui sont à la source de l'inquiétude quant aux dérives qu'elles permettraient, notamment pour des missions de durée inférieure à 18 mois.
Ceci correspond déjà de fait à la réalité quotidienne de nombreux acteurs, comme par exemple les " freelances " intervenant dans les différents pays, qui trouvent leurs missions par Internet et livrent leur production par le même canal.
Si le projet de directive avait été adopté tel quel, un fournisseur de services pourrait, dans certaines conditions, être soumis exclusivement aux lois sociales et fiscales de son pays d'origine, et non, comme le plus souvent actuellement, à celle du pays où les services sont délivrés. Les salariés d'une société du pays X seront payés selon les charges et avantages sociaux du pays X, même s'ils travaillent dans le pays Y. Ce type de comportement, l'immigration temporaire de salariés étrangers, commence à apparaître en France sous le nom de onshore.
Quelques conséquences paraissent évidentes :
- si les charges sociales et fiscales du pays Y sont plus lourdes, si les acquis sociaux y sont plus élevés, les entreprises du pays Y vont avoir chez elles un handicap structurel face aux entreprises des autres pays ;
- si le pays X est l'un des plus avantageux de la communauté européenne sur le plan fiscal et social, les entreprises qui y ont leur siège bénéficient donc structurellement d'un important avantage concurrentiel automatique ;
- très rapidement, les salariés du pays Y se verront " proposer " de travailler dans leur pays Y pour l'entreprise du pays X, avec le même emploi au même poste… mais avec un salaire et des avantages sociaux revus nettement à la baisse.
Le texte de ce projet de directive a été remis en cause, et il sera fortement amendé. En conséquence, nous n'en parlerons plus dans le présent document, qui est axé sur des tendances et évolutions progressives, et non sur des " ruptures ". La présente étude devra être revisitée et actualisée à la lumière de la formulation finale de la directive.